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Jurisprudence : Rupture brutale de relations commerciales
Les faits
Entre 2016 et 202, la société Céline (vêtements et accessoires de luxe) et un photographe (d'abord en son nom propre, puis au travers de la société qu'il a créée en Bulgarie) entretiennent des relations commerciales suivies. Le photographe réalise pour Céline des prestations (plusieurs centaines de factures).
Mais leur relation se dégrade : du fait de la pression budgétaire sur l'activité, Céline modifie les directives adressées au photographe pour une présentation du produit simple, factuelle et non stylisée. Une dérive comportementale de la part d'un préposé de la société du photographe provoque la rupture, et conduit Céline à indiquer en octobre 2020 qu'elle souhaite interrompre sa collaboration avec la société du photographe au terme d'un préavis de 3 mois. Et, le photographe décidant de maintenir sur les prochains shooting son préposé violent, et initiant des mesures d'instruction, Céline avance en date les prestations prévues pendant le préavis afin de quitter au plus vite la relation avec le photographe et cesse ainsi toute collaboration le 26 novembre 2020.
Le photographe, en son nom propre et au travers de sa société, a assigné la société Céline devant le TJ de Paris, notamment sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies et de la contrefaçon de 9.000 photos, sollicitant 2,5 millions d'euros de dommages et intérêts.
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La décision du TJ de Paris
1. Le juge a étudié tout d'abord la rupture brutale des relations commerciales.
Il décide :
- que le photographe en son nom propre a choisi de cesser les relations commerciales avec Céline, au profit de sa société, en 2019. Que la relation stable et la rupture brutale entre cette société et Celine doivent seules être étudiées
- que la stabilité de la relation est établie par les nombreux échanges de mails et les factures de la société du photographe à Céline
- que le non-respect par Céline du délai de préavis de 3 mois avant la fin des relations commerciales pouvait causer un dommage financier au photographe à hauteur des 2 mois non-effectuée
--> Il condamne Céline à verser au photographe 26.000 euros de dommages et intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie.
2. quant à la contrefaçon
Le juge :
- rappelle le cadre juridique en citant le code de la propriété intellectuelle (art. L111-1, L112-1, L112-2 9° et L113-1), ainsi que le droit européen en ces termes :
L'article 6 de la directive 2006/116/CE du 12 décembre 2006 énonce que « les photographies qui sont originales en ce sens qu'elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l'article 1er. Aucun autre critère ne s'applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection ». Une œuvre photographique au sens de la convention de Berne doit être considérée comme originale si elle est une création intellectuelle de l'auteur qui reflète sa personnalité, sans que d'autres critères, tels que la valeur ou la destination, ne soient pris en compte. La protection des autres photographies doit pouvoir être régie par la législation nationale ».
La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, ler décembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer contre Standard VerlagsGmbH ea) a dit pour droit « qu'une photographie est susceptible de protection par le droit d'auteur à condition qu'elle soit une création intellectuelle de son auteur, ce qui est le cas si l'auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l'œuvre en effectuant des choix libres et créatifs et ce, de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation. Ainsi, au stade de la phase préparatoire, auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l'éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l'angle de prise de vue ou encore l'atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l'auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu'il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l'emploi de logiciels. À travers ces différents choix, l'auteur d'une photographie de portrait est ainsi en mesure d'imprimer sa « touche personnelle » (point 92 de la décision) à l'œuvre créée ».
- considère que la présentation sur fond blanc des articles sur un site de e-commerce, en particulier en respectant le cahier des charges graphique du client, "constituent la banale reprise d'un fond commun de la photographie de vêtements et d'accessoires de mode mettant en valeur un objet par un fond blanc, une lumière révélant les contrastes et un cadrage net"
- conclut que ces images ne sont pas originales, et ne peuvent être protégées par le droit d'auteur.
- rappelle que le style photographique mis en oeuvre par le photographe en application des directives de Céline est une idée, non protégeable par le droit d'auteur, et que sa la reprise par Céline ne peut être constitutif de contrefaçon.
--> rejette la demande du photographe
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Qu'en conclure ?
1. quant à la rupture brutale d'une relation commerciale établie
Elle peut donner lieu à des dommages et intérêt, mais il est nécessaire de prouver
- la stabilité et la continuité de la relation commerciale
- la brutalité de la rupture
- les dommages économiques résultant de cette rupture
2. Quant à la contrefaçon
Le juge refuse de qualifier d'oeuvre originale les photographies d'objets destinées à figurer sur un site de e-commerce.
Il est donc essentiel de se protéger en anticipant le devenir des photographies, et dans le cadre d'un contentieux, en agissant sur le fondement de la contrefaçon ET du parasitisme économique pour les photographies non protégeables par le droit d'auteur.
Pour en savoir plus : Tribunal judiciaire de Paris, 31 janvier 2025, 21/1375421/13754
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