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Un avocat vous explique... Photographier les bâtiments et autres sculptures : droit comparé France/Allemagne

25 novembre 2019 Juridique
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Maître Roux Steinkühlen. Crédit photo : Lars Pillmann

Maître Roux Steinkühlen.
Crédit photo : Lars Pillmann

 

« J’ai pris une photographie de la pyramide du Louvre et j’aimerais la partager sur mon compte Instagram. Ai-je le droit ? »

La pyramide du Louvre, construite en 1989 par l’architecte Ieoh Ming Pei est encore protégée par le droit d’auteur. Que disent le droit français et allemand de la diffusion de cette photographie ?

Pour le droit allemand, la réponse est simple. Dès lors qu’une œuvre est située en permanence sur le domaine public, sa photographie prise de la voie publique est autorisée. Vous avez le droit d’exploiter votre cliché sans autorisation préalable et même à des fins commerciales et publicitaires. C’est ce que l’on appelle « la liberté de panorama » (Panoramafreiheit).

Pour le droit français, comme de coutume, la réponse est plus protectrice pour l’auteur de l’œuvre représentée. Néanmoins depuis le 8 octobre 2016, les personnes physiques ont le droit de reproduire et de représenter les œuvres architecturales et les sculptures placées en permanence sur la voie publique, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial. Votre partage sur le réseau social sera licite à la condition que votre compte n’ait pas de but commercial. Il s’agit donc plus d’une « exception » de panorama au droit d’auteur, que d’une véritable « liberté » (Panoramafreiheit) comme l’appelle le droit allemand.

 

I – En France, une exception de panorama restrictive

La loi « Pour une République du numérique » de 2016 a introduit une « exception de panorama » en droit français, comme l’autorise l’article 5.3, h) de la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur.

Rappelons tout d’abord que par principe, tout auteur possède un droit patrimonial exclusif sur son œuvre lui permettant de l’exploiter. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose en son article L. 112-2, que sont considérées « comme œuvres de l'esprit au sens du présent code (...) les œuvres de dessin, de peinture, d'architecture (…) les œuvres photographiques ». Ces œuvres sont protégées par le droit patrimonial de l’auteur ou de ses héritiers jusqu’à 70 ans après sa mort, conformément aux articles L123-1 et L122-4 du Code de la propriété intellectuelle. Concrètement, cette protection signifie qu’un photographe doit obtenir l’autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre, bâtiment, sculpture, éclairage, peinture etc. avant de pouvoir vendre ou mettre en ligne la photographie qu’il en a prise.

Néanmoins, l’article 39 de la loi « Pour une République numérique » a ajouté un article L122-5, 11° au Code de la propriété intellectuelle selon lequel : « Les reproductions et représentations d'œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l'exclusion de tout usage à caractère commercial » sont autorisées.

Quatre conditions autorisent donc désormais une exception au droit patrimonial de l’auteur sur le principe d’un droit au panorama :

  1. l’objet de la reproduction : il doit s’agir d’œuvres architecturales ou de sculptures. Toute autre œuvre n’est pas couverte par la présente disposition. Ni le street art, ni un tableau, ni l’éclairage d’un bâtiment ne peuvent être représentés, même si leur présence est permanente sur la voie publique.
  2. la qualité du photographe : il ne peut que s’agir d’une personne physique. Toute personne morale est exclue du bénéfice de l’article. Même l’association à but non lucratif ne peut donc reproduire la représentation sans autorisation préalable.   
  3. la permanence de l’œuvre sur la voie publique : ainsi, une sculpture protégée par le droit patrimonial de l’auteur et exposée temporairement ne tombe pas sous l’exception.
  4. Enfin, la dernière concerne l’usage à caractère non-commercial de la reproduction. Il est très clair que le législateur français a souhaité être plus restrictif que la directive européenne, en ajoutant cette condition d’usage à caractère exclusivement non commercial.

On notera que l’article 39 s’inscrit dans le cadre des exemptions ou limitations aux droits d’exploitation des auteurs, telles qu’elles ont été limitativement énumérées par la directive européenne 2001/59 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur. L’article 5.3 h) de la directive offre ainsi aux Etats membres de l’Union européenne la possibilité d’exempter « l’utilisation d’œuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures, réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics. ». Fidèle à sa forte protection des auteurs, le législateur français a transposé mais de manière la plus restrictive possible, n’élargissant pas à d’autres œuvres que les réalisations architecturales ou les sculptures, comme le lui autorisait la directive, et en ajoutant des conditions supplémentaires à l’article 5.3 h).

Sans aller aussi loin, la jurisprudence française avait déjà reconnu, dans la lignée d’une autre exception autorisée par la directive européenne précitée, l’« exception d’inclusion fortuite » ou « d’accessoire » (article 5.3 i)).

Dans l’affaire de la Place des Terreaux du 15 mars 2005, la Cour de cassation avait estimé qu’une œuvre reproduite sur une carte postale n’était pas nécessairement protégée par le droit patrimonial de l’auteur dès lors qu’elle était accessoire au sujet de ladite carte postale. Selon elle « l'œuvre se fondait dans l'ensemble architectural de la place des Terreaux dont elle constituait un simple élément, (…) une telle présentation de l’œuvre litigieuse était accessoire au sujet traité, résidant dans la représentation de la place, de sorte qu’elle ne réalisait pas la communication de cette œuvre au public ».

Cette inspiration de l’article 5.3 i) n’avait cependant été clairement assumée que 6 ans plus tard, dans l’une des affaires qui concernait le film « Être et Avoir ». En 2011, les réalisateurs étaient accusés de contrefaçon pour avoir filmé des illustrations tirées de la méthode de lecture « Gafi le fantôme ». La Cour d’appel de Paris avait estimé que le principe général de droit d’expression des réalisateurs prévalait sur toute atteinte non disproportionnée au droit d’auteur, et la Cour de cassation avait ajouté que le caractère fortuit et accessoire de la représentation de l’œuvre en question rentrait dans l’exception 5.3, i) de la directive 2001/29.

En matière de photographie d’architecture, il faut aussi penser aux dispositions de l’article L621-42 du Code du patrimoine, qui dispose que l'utilisation à des fins commerciales de l'image des immeubles des domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l'autorisation préalable du gestionnaire du domaine national. Cette autorisation peut prendre la forme d'un acte unilatéral ou d'un contrat, assorti ou non de conditions financières. Ainsi, un reportage sur les Calanques de Cassis, parc national, ou un shooting publicitaire devront être autorisés par contrat, et le paiement d’une redevance conforme au barème adopté par le conseil d’administration devra être acquittée.

En conclusion, il convient de rester prudent. La Tour Eiffel est en ce sens emblématique. La Tour Eiffel peut être librement photographiée de jour, mais les différents éclairages de la tour Eiffel (illumination dorée, scintillement, phare et les éclairages événementiels) sont protégés. L’exploitation de l’image de la tour Eiffel de nuit est donc sujette à autorisation préalable de la Société d’Exploitation de la tour Eiffel (SETE).

Influenceurs, photographes professionnels, éditeurs et autres usagers professionnels devront donc nécessairement obtenir une autorisation préalable avant de publier, distribuer, reproduire commercialement leur photographie de la pyramide du Louvre ou de la Tour Eiffel de nuit, et ce, même sur Instagram sur un compte apparemment privé.

 

II- En Allemagne, une liberté de panorama qui autorise l’exploitation d’une image prise dans un lieu public.

Contrairement à la France, l’Allemagne prévoit de longue date une limitation au droit d’auteur pour les photographies prises dans les lieux publics, puisque le premier texte législatif en ce sens remonte à la loi de 1876 sur la Protection de l’art, aujourd’hui modifié à l’article 59 de la Loi sur le droit d'auteur et les droits voisins. Nous pourrions traduire cette loi ainsi :

« § 59 Œuvres dans les lieux publics : (1) Il est permis de reproduire, distribuer et communiquer au public des œuvres qui se trouvent en permanence sur [ou plus exactement, « sur » ou « au bord »] les voies, rues ou places publics, au moyen de peintures, dessins, photographies ou films. Pour les bâtiments, ces droits portent uniquement sur les vues extérieures. »

L’idée est simple : les œuvres d’art visibles de la voie publique font partie du bien commun. Ainsi toute personne peut photographier et exploiter une œuvre d’art permanente et visible de tous, que ce soit à des fins privées ou commerciales, y compris publicitaires. En ce sens, les moyens de transport mobiles comme les navires ou les voitures sont réputés se trouver durablement sur la publique, et leur reproduction licite. En principe, la publication et l’exploitation commerciale de la photographie ne nécessitent donc pas d’autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre représentée.

En revanche, une installation intermittente ne saurait être considérée comme permanente. Par exemple, l’installation par Christo et Jeanne Claude durant deux semaines d’une bâche autour du Bundestag ne peut être considérée comme « permanente » et sa reproduction est soumise à autorisation des auteurs, sauf si elle entre dans un autre cadre de limitation du droit d’auteur, par exemple la relation d’un fait d’actualité (§ 50 de la Loi sur le droit d'auteur et les droits voisins), ou encore, le droit de citation (§ 51). La jurisprudence estime qu’il faut quelques années pour confirmer le caractère permanent et l’appréciation se fait au cas par cas.

De même, la photographie doit être prise d’un lieu accessible à tout public. La liberté de panorama ne concerne ainsi que l’aspect strictement extérieur et visible du bâtiment. Ni une image prise du ciel ni une photographie prise d’une perspective autre que celle accessible par tout piéton ne sont couvertes par l’article 59.

Enfin, une réplique en trois dimensions d'une œuvre - par exemple, un bâtiment ou un monument - n'est pas couverte par l’article 59. Dans l’arrêt East Side Gallery du 19 janvier 2017, la Cour fédérale de justice a estimé qu’un photographe qui avait construit un modèle architectural en trois dimensions à partir d’une photographie d’un reste du mur de Berlin, n’est pas libre d’exploiter la photographie de sa propre construction tridimensionnelle faite à partir de sa photographie du Mur. 

 

Thomas Lehmann et Marie-Avril Roux

http://www.mars-ip.eu/




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