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Hommage à Denis Brihat
C'est avec une grande tristesse que l'Union des photographes professionnels a appris le décès de Denis Brihat, le 3 décembre 2024, il avait 96 ans.
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L'emblématique photographe français est né à Paris en 1928. Il quitte avant le diplôme l'école de photographie de la rue de Vaugirard à la fin des années 50, pour expérimenter la pratique à travers la photographie d'architecture, de portrait, de reportage, et l'industrie. Mais c’est sa rencontre avec l'œuvre d’Edward Weston qui le marque particulièrement lors d’une présentation. “L’exposition confirme son intuition que l’œuvre de Weston ouvre une voie qu’il veut explorer : révéler la beauté de la nature, donner à voir ses richesses infinies et présenter sa vision dans la ligne du grand maître” (1). Son parcours photographique se poursuit et il évolue dans l’univers de la culture auprès de peintres, sculpteurs et d’architectes, tout en devenant un excellent technicien. Ces nouvelles connaissances le “poussent et l”orientent vers l’idée de photographie pour le mur, considérant que le mur peut être aussi bien meublé par un tirage argentique que par un tableau de Braque ”(1).
Par la suite Denis Brihat rejoint l’Agence Rapho, accueilli par Robert Doisneau avec qui il a sympathisé. Il part peu après en Inde pour un voyage d’un an qu’il considère comme initiatique. Son travail réalisé là-bas est présenté en 1957 au récent prix Niépce, qu’il obtient à la suite de Jean Dieuzaide et Robert Doisneau. Ce prix lui apporte une notoriété importante et lui ouvre des portes, mais malheureusement, la vie parisienne ne lui convient plus du tout et il cherche à s’en éloigner.
C’est à Bonnieux qu’il part s’installer, gagné par l’authenticité du Lubéron qu’il a découvert en 1958, encore une fois poussé par son ami Doisneau. Il s’y construit tout simplement une nouvelle vie à partir de rien, sans eau ni électricité. Loin des tumultes de la ville, il y invite ses connaissances parisiennes et développe des amitiés locales. Il continue la photographie, se bâtit une maison et surtout, commence à explorer “les infinies possibilités de la chimie des tirages” (1), (1968). Durant ces années 60, il expose à Paris chez Kodak, avenue Montaigne, et au musée des Arts décoratifs, puis au prestigieux MoMA de New-York.
Il continue de développer les amitiés et, inspiré par des “rencontres graphiques de Lurs”, il “organise à Bonnieux ces premières rencontres photographiques durant l’été 1969, avec Jean-Pierre Sudre, Jean Dieuzaide et la participation de Jean-Claude Lemagny. L’année suivante, Lucien Clergue annonce à quelques photographes, dont Denis Brihat, la création des rencontres photographiques à Arles… N’ayant ni l'entregent de Clergue ni l’envie de faire doublon, Brihat ne renouvelle pas l’expérience à Bonnieux” (1). Une grande partie de son temps sera destinée à la transmission de ses connaissance par la suite, à Marseille puis à Bonnieux où il propose des stages de prise de vues, de tirages et de procédés anciens pendant plusieurs années.
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Mais ce qui a fait de Denis Brihat le personnage emblématique de la photographie qu'il est devenu, c’est la maîtrise quasi alchimique des procédés qu’il met au point, et ne cessera d’enrichir : sulfuration, virages à l’or, au sélénium, au fer-vanadium, entre autres. Il se fabrique une véritable palette de couleurs. Il appréhende la nature qui l’entoure, dans le cadre de vie qu’il a choisi et qui procède à son œuvre, un peu comme un Monet à Giverny. Sa sensibilité et sa grande maitrise de la technique de la photographie à la chambre, le conduisent à créer ces œuvres qui traversent le temps, des images qu'il appelait les “tableaux photographiques”.
Il transforme un brin d’herbe en une calligraphie, une sylphide, qu’il a imaginée et tirée en 2 m de long. (Brin de chiendent, 1963. Les reproductions réalisées par la suite de cette photographie n’étant plus pour lui l'œuvre initiale et ses 2 m). Il se penche aussi bien sur la courbe d’une poire, les boursouflures d'un poivron, ou la beauté froissée des pétales de coquelicots qu’il décline inlassablement. Il se penchera sur l’étude systématique d’oignons, pour la transparence de leur pelure, la danse de leurs germes, les méandres des couches qui les constituent, avec les nuances de couleur qu’il leur attribue, cette recherche a duré cinquante ans. Oignons qui finissaient, aimait-il préciser, dans un plat cuisiné.
Cœur d’hibiscus, de pavot, un chou, une tulipe, une fleur de pissenlit, un chardon, souvent ramené de son potager, Denis Brihat était inspiré par les beautés simples de la nature qu'il fixait sur le
papier. “Je voulais photographier des p’tites choses de la nature, et faire des images destinées au mur”, disait-il à Brigitte Patient, dans le Regardez voir qu’elle lui a consacré sur France Inter en 2016 (2). Peut-on parler d’ermite de la photographie? Sûrement.
Il nous a transmis l’émotion qu’il a ressentie, transformant les particules d'argent du noir et blanc en couleurs subtiles avec sa palettes de virages. Véritable pilier de la photographie contemporaine, ses œuvres font partie des collections de grands musées comme le MoMA où la BNF, et de collections privées en France et à l’étranger.
Merci Denis Brihat pour ce regard posé sur la simplicité et la beauté pure des petits riens, et les œuvres que vous nous avez laissés.
Renaud Wailliez, administrateur de l'Upp.
L'Union des Photographes Professionnels, à travers la voix de son Conseil d'Administration, adresse ses plus sincères condoléances à sa femme Solange, ses enfants et sa famille, et s'associe à leur peine.
(1) Citations de Solange Brihat dans “La métamorphose de l'argentique”, éditions Le Bec en l'Air, 2018.
(2) Brigitte Patient : Denis Brihat : Regardez-voir du dimanche 24 janvier 2016 (43mn).
Crédit photo : Renaud Wailliez, Denis et Solange Brihat dans leur maison, Bonnieux, 2019.
Brin de chiendent, 1963. Tirage argentique réalisé par l'artiste en 1980 61x32,5 cm © Denis Brihat - Courtesy Camera Obscura.
Denis Brihat, Coquelicot, 1981. Tirage argentique réalisé par l'artiste, sulfuration et virage à l'or 40x50 cm © Denis Brihat - Courtesy Camera Obscura.
Tulipe noire, 2001. Tirage argentique réalisé par l'artiste, virage sélénium 40x50 cm © Denis Brihat Courtesy Camera Obscura.
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