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Le cloud est soumis à la redevance pour copie privée
Il y a quelques mois, nous vous en avions parlé ici, l'UPP, avec les société organisations professionnelles et les sociétés d'auteurs, s'était engagée pour obtenir des reconditionneurs qu'ils soit taxés au titre de la redevance sur la copie privée pour les supports de seconde main. Le législateur avait fait droit à cette demande, ce dont nous nous étions félicités car les supports (téléphones portables, disques durs externes, ordinateurs...) reconditionnés représentent une part importante des achats des consommateurs d'oeuvres protégées par le droit d'auteur.
Le 24 mars dernier, un arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne a étendu la copie privée aux espaces infonuagiques, étendant l'indemnisation des auteurs au titre de la redevance copie privée aux reproductions de leurs oeuvres dans le cloud.
1. La copie privée
Pour rappel, la rémunération pour copie privée est depuis 1985 un redevance payée par les acheteurs de supports d'enregistrement (disques durs, clés USB, cartes mémoire, CD, DVD, smartphones... ). Elle est prélevée pour remédier au préjudice causé aux auteur par la possibilité pour les particuliers de réaliser, à titre privé, des copies d'œuvres protégées, sans l'accord préalable des titulaires de droits.
Elle est encadrée par le droit européen, et en particulier par la directive du 22 mai 2001 sur le droit d'auteur, qui ouvre aux Etats la possibilité de prévoir des exceptions au droit d'auteur. Elle autorise en effet les particuliers à contourner la demande d'autorisation et la rémunération des auteurs pour la "reproduction de leurs oeuvres sur tout support pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales". Le texte prévoit alors pour les auteurs une "compensation équitable", qui prend en France le nom de rémunération pour copie privée.
La redevance s'applique donc sur les supports permettant ces copies : clés USB, disques durs externes, tablettes, cartes mémoires et surtout les smartphones. Elle est redistribuée à 75% aux auteurs et à leurs ayants-droit par les organismes de gestion collective au pro-rata de leurs publications (livre, presse écrite et télévision), les 25% restants étant destinés à financer les festivals et autres événements collectifs.
Mais les consommateurs font évoluer leurs habitudes : ils utilisent désormais très largement les services des plateformes de streaming et stockent de moins en moins de copies d'oeuvres. Le nombre de supports vendus diminuant, les recettes générées par la redevance de copie privée s'amenuisent chaque année un peu plus (300 millions d'euros en 2018, 270 en 2019).
2. L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 24 mars 2022
Il intervient dans le cadre d'un contentieux opposant unorganisme de gestion collective autrichien à une société qui propose des solutions de stockage en ligne.
Austro-Mechana, la société d'auteurs, estimant que le cloud pouvait permettre l'enregistrement de reproductions d'oeuvres protégées, a demandé à Strato AG le paiement de la redevance copie privée.
Le tribunal de commerce avait jugé que Strato, ne commercialisant pas de support, ne pouvait être soumis à la redevance pour copie privée.
Dans le doute, la juridiction d'appel a saisi la CJUE sur la question.
Cette dernière a suivi le raisonnement que voici :
1/ Il s'agit bien d'une reproduction
"la notion de « reproduction » doit être entendue au sens large (...) pour assurer la sécurité juridique au sein du marché intérieur et la protection la plus large des titulaires de droits. Elle couvre donc les reproductions « directe ou indirecte », « provisoire ou permanente », « par quelque moyen » et « sous quelque forme que ce soit ».
"Le téléversement (upload) (...) d’une œuvre dans un espace de stockage dans le nuage (...) implique la réalisation d’une reproduction de cette œuvre". "Il s’ensuit que la réalisation d’une copie de sauvegarde d’une œuvre dans un espace de stockage (...) constitue une reproduction de cette œuvre, au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.
2/ le cloud est bien un support
"Les termes « tout support » visent l’ensemble des supports sur lesquels une œuvre protégée peut être reproduite, en ce compris des serveurs tels que ceux utilisés dans le cadre de l’informatique en nuage" et alors même que le particulier n'en est pas propriétaire.
En effet, la directive 2001/29 (...) vise à créer un cadre général et souple au niveau de l’Union pour favoriser le développement de la société de l’information et à adapter et à compléter les règles actuelles en matière de droit d’auteur et de droits voisins pour tenir compte de l’évolution technologique, qui a fait apparaître de nouvelles formes d’exploitation des œuvres protégées.
L'exemption (au droit d'auteur prévu pour les copies privées) doit rendre possible et assurer le développement et le fonctionnement de nouvelles technologies, ainsi que maintenir un juste équilibre entre les droits et les intérêts de titulaires de droits et d’utilisateurs d’œuvres protégées qui souhaitent bénéficier de ces technologies.
La CJUE considère donc que "la notion de « tout support », visée à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, couvre un serveur dans lequel un espace de stockage est mis à la disposition d’un utilisateur par le fournisseur d’un service d’informatique en nuage."
3/ les copies sont bien des copies privées
LA CJUE utilise indifféremment l'expression "copie de sauvegarde" et "copie privée", faisant ainsi entrer les copies de sauvegardes dans le champ d'application de la directive.
4/ compenser équitablement le préjudice
La redevance pour la copie privée doit venir compenser le préjudice causé aux auteurs par la reproduction de leur oeuvre sans autorisation et sans rémunération sur les espaces de stockage nuagiques mis à disposition des particuliers.
La question reste de savoir qui est redevable de cette compensation ?
Pour la CJUE, "il revient notamment aux États membres de déterminer les personnes qui doivent s’acquitter de cette compensation ainsi que de fixer la forme, les modalités et le niveau de ladite compensation". "Ceux-ci doivent "être liés au préjudice causé aux titulaires de droits en raison de la réalisation de copies privées sans excéder le préjudice potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question."
Chaque pays peut donc décider librement les modalités de l'indemnisation, dès lors qu'elle est effective et proportionnée. La CJUE envisage de mettre à contribution les fournisseurs de services de stockage, les producteurs ou les importateurs des serveurs utilisés, ou encore les fournisseurs d'appareils permettant d'accéder au services cloud.
L'UPP se réjouit de cette décision qui vient entériner l'importance des services de cloud computing dans les actes de reproduction à titre privé des oeuvres protégées. Cet arrêt fait entrer dans le périmètre de la redevance l'ensemble des copies stockées dans les espaces personnels des internautes. Les sociétés d'auteurs pourront alors faire valoir une augmentation des barèmes de la copie privée sur les supports physiques, afin de prendre en compte le préjudice subi par les auteurs fait des téléversements et des téléchargements d'oeuvres protégées.
Pour ceux qui veulent en savoir plus, l'arrêt complet est disponible ici
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